4 mars 2013

Chantier Cazals, Lot.

Résidence du 18 au 27 février à l'invitation de l'association Faits et Gestes et de la compagnie Divergences.

Interprètes : Caroline Bertin, Agnès Claverie, Cédric Gaudeau, Matthieu Gaudeau, Blandine Pinon.





10 février 2013


Dans une cité où les hommes libres se réunissent pour écouter et décider, celui qui parle fait appel au jugement, et pour cela il doit toucher. Parler c’est travailler avec l’ethos et le désir puisqu’il faut répondre à cette nécessité : quel caractère incarner pour mobiliser le désir de la communauté ?
Les grecs disposaient de deux lieux pour exercer cette parole : l’agora et le théâtre. Le théâtre, lieu où la communauté immobile et à distance va, là aussi, se trouver devant un spectacle qui va la toucher, la déplacer et organiser cette katharsis, cette clarification de quelque chose d’obscur dont le discours sur l’agora semble ne pas devoir s’occuper. Au contraire, il semblerait, à lire les textes grecs, que le théâtre ait eu une fonction extrêmement importante de clarification des aspects de la communauté, rendant d’autant plus opératoire la parole publique, pour que le politique et la communauté fonctionnent.
Marie-José Mondzain, Le commerce des regards

9 février 2013

            L’œuvre n’imite pas un espace. Elle produit son lieu - son travail du lieu, sa fable du lieu - par un travail et une fable de temps, un mime de temps ajointés : une invocation, une production, un montage de temps hétérogènes. Le temps œuvré est toujours un temps manipulé, démultiplié. C’est une composition d’anachronismes.
Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu

            C’est en ce sens-là que l’art est fait d’images, qu’il soit ou non figuratif, qu’on y reconnaisse ou non la forme de personnages et de spectacles identifiables. Les images de l’art sont des opérations qui produisent un écart, une dissemblance. Des mots décrivent ce que l’œil pourrait voir ou expriment ce qu’il ne verra jamais, ils éclairent ou obscurcissent à dessein une idée. Des formes visibles proposent une signification à comprendre ou la soustraient. 
Jacques Rancière, Le destin des images

5 février 2013

            Il ne s’agit ni plus ni moins, en effet, que de repenser notre propre « principe espérance » à travers la façon dont l’Autrefois rencontre le Maintenant pour former une lueur, un éclat, une constellation où se libère quelque forme pour notre Avenir lui-même. Bien que rasant le sol, bien qu’émettant une lumière très faible, bien que se déplaçant lentement, les lucioles ne dessinent-elles pas, rigoureusement parlant une telle constellation ? Affirmer cela sur le minuscule exemple des lucioles, c’est affirmer que dans notre façon d'imaginer gît fondamentalement une condition pour notre façon de faire de la politique. L’imagination est politique, voilà ce dont il faut prendre la mesure.
Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles


            La politique advient lorsque ceux qui « n’ont pas » le temps prennent ce temps nécessaire pour se poser en habitants d’un espace commun et pour démontrer que leur bouche émet bien une parole qui énonce du commun et non seulement une voix qui signale la douleur. Cette distribution et cette redistribution des places et des identités, ce découpage et ce redécoupage des espaces et des temps, du visible et de l’invisible, du bruit et de la parole constitue ce j’appelle le partage du sensible. La politique constitue à reconfigurer le partage du sensible qui définit le commun d’une communauté, à y introduire des sujets et des objets nouveaux, à rendre visible ce qui ne l’était pas et à faire entendre comme parleurs ceux qui n’étaient perçus que comme animaux bruyants. 
Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique


            Il va de soi - non seulement parce que Pasolini l’a répété des années durant, mais encore parce que nous pouvons chaque jour en faire l’expérience - que la danse des lucioles, ce moment de grâce qui résiste au monde de la terreur, est la chose la plus fugace, la plus fragile qui soit.

            Ce n’est pas dans la nuit que les lucioles ont disparu. Quand la nuit est au plus profond, nous sommes capables de saisir la moindre lueur, et c’est l’expiration même de la lumière qui nous est encore visible dans sa traîne, si ténue soit elle. Non, les lucioles ont disparu dans l’aveuglante clarté des « roces » projecteurs : projecteurs des miradors, des shows politiques, des stades de football, des plateaux de télévision.

Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles

4 février 2013

            Quelles images choisissons-nous de voir ensemble ? Jamais on ne verra ce qu’un autre voit, mais nous pouvons nous mettre d’accord pour aimer et pour haïr ensemble des régimes de visibilité où se joue la question fondatrice de tout partage. On ne partage pas du visible sans construire le lieu invisible du partage lui-même. Certaines « iconicités » détruisent tout partage dans la communication d’un programme. Programmer la consommation univoque et consensuelle d’un sens, c’est détruire l’image et produire de l’Idolâtrie. L’idole n’est rien d’autre que l’objet qui transforme le commerce des regards en marché des visibilités. C’est en terme d’échanges que doit s’analyser la nature du visible. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’ambivalence fondatrice du terme d’économie choisi par l’église pour inaugurer un monde, le nôtre, où le va-et-vient ininterrompu des gestes et des regards se charge d’ouvrir ou de fermer l’espace de nos mouvements. Donner à l’image elle-même un statut critique était une promesse de liberté, un contrat offert aux corps doués de parole et de vision. Comme toute promesse, comme tout contrat, l’image demande le respect ; à tout moment le regard peut ne plus tenir sa parole.
Marie-José Mondzain, Le commerce des regards


            L’émancipation commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domination et de la sujétion. Elle commence quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions. Le spectateur aussi agit. Il observe, il sélectionne, il compare, il interprète. Il lie ce qu’il voit à bien d’autres choses qu’il a vu sur d’autres scènes, en d’autres sortes de lieux. Il compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui.
Jacques Rancière, Le spectateur émancipé

3 février 2013


           Parce que des corps vivants sur scène s’adressent à des corps vivants réunis dans un même lieu, il semble que cela suffise à faire du théâtre le vecteur d’un sens de communauté, radicalement différent de la situation des individus assis devant une télévision ou des spectateurs de cinéma assis devant des ombres projetées. Que se passe-t-il au juste, parmi les spectateurs d’un théâtre, qui ne pourrait avoir lieu ailleurs ? Qu’y a-t-il de plus interactif, de plus communautaire chez ces spectateurs que dans une multiplicité d’individus regardant à la même heure le même show télévisé ? Ce quelque chose, je crois, est seulement la présupposition que le théâtre est communautaire par lui-même.  Mais dans un théâtre, devant une performance, tout comme dans un musée, une école ou une rue, il n’y a jamais que des individus qui tracent leur propre chemin dans la forêt des choses, des actes et des signes qui leur font face ou les entourent. Le pouvoir commun aux spectateurs ne tient pas à leur qualité de membres d’un corps collectif ou à quelque forme spécifique d’interactivité. C’est le pouvoir qu’a chacun ou chacune de traduire à sa manière ce qu’il ou elle perçoit, de le lier à l’aventure intellectuelle singulière qui les rend semblables à tout autre pour autant que cette aventure ne ressemble à aucune autre. Ce pouvoir commun de l’égalité des intelligences lie des individus, leur fait échanger leurs aventures intellectuelles, pour autant qu’il les tient séparés les uns des autres, également capables d’utiliser le pouvoir de tous pour tracer leur chemin propre.
            C’est dans ce pouvoir d'associer et de dissocier que réside l’émancipation du spectateur, c’est à dire l’émancipation de chacun de nous comme spectateur. Il n’y a pas plus de forme privilégiée que de point de départ privilégiée. Il y a partout des points de départ, des croisements et des nœuds qui nous permettent d’apprendre quelque chose de neuf si nous récusons premièrement la distance radicale, deuxièmement la distribution des rôles, troisièmement les frontières entre les territoires. Tout spectateur est déjà acteur de son histoire, tout acteur, tout homme d’action spectateur de la même histoire. 
Jacques Rancière, Le spectateur émancipé

2 février 2013

           Notre hypothèse sera celle-ci : les images de l’art - si simples, si « minimales » soient-elles - savent présenter la dialectique visuelle de ce jeu où nous avons su (mais nous l’avons oublié) inquiéter notre vision et inventer des lieux pour cette inquiétude. Les images de l’art savent produire une poétique de la « présentabilité » ou de la « figurabilité » capable de relever l’aspect régressif noté par Freud à propos du rêve, et de constituer cette « relève » en une véritable exubérance rigoureuse de la pensée. Les images de l’art savent en quelque sorte compacifier ce jeu de l’enfant qui ne tenait qu’à un fil, et dès lors elles savent lui donner un statut de monument, quelque chose qui reste, qui se transmet, qui se partage (fût-ce dans le malentendu).
Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde

           L’art critique doit négocier entre la tension qui pousse l’art vers la « vie » et celle qui, à l’inverse, sépare la sensorialité esthétique des autres formes d’expérience sensible. Il doit emprunter aux zones d’indistinction entre l’art et les autres sphères les connexions qui provoquent l’intelligibilité politique. Et il doit emprunter à la solitude de l’œuvre le sens d’hétérogénéité sensible qui nourrit les énergies politiques du refus. C’est cette négociation entre les formes de l’art  et celles du non-art qui permet de constituer des combinaisons d’éléments capables de parler deux fois : à partir de leur lisibilité et à partir de leur illisibilité. 
Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique

31 janvier 2013


            Essayer, c’est essayer encore. C’est expérimenter par d’autres voies, d’autres correspondances, d’autres montages. L’essai comme geste de toujours tout reprendre. « On continue - courage ! - recommençons la lecture ! » Voilà bien ce que suppose tout essai qui se respecte : il n’y aura pas de dernier mot. Il faudra encore tout démonter à nouveau, tout remonter. Faire de nouveaux essais. Inlassablement relire, en somme. Mais qu’est-ce à dire, sinon que la modestie et l’exigence mêlées dans la forme de l’essai font de toute « reprise » l’acte de toujours tout réapprendre ? Comme pour élever sa colère à la hauteur d’une connaissance méthodique et patiente.
            Reprendre et réapprendre sans relâche, pour mieux pourfendre la violence du monde inscrite dans ses images.
Georges Didi-Huberman, Remontages du temps subi

            La distanciation crée des intervalles là où l’on ne voyait que l’unité, parce que le montage crée des ajointements nouveaux entre des ordres de réalité pensés spontanément comme très différents. Tout cela finit par désarticuler notre perception habituelle des rapports entre les choses ou les situations. 
            Contrastes, ruptures, dispersions. Mais tout se brise pour que puisse justement apparaître l’espace entre les choses, leur fond commun, la relation inaperçue qui les enjointe malgré tout, cette relation fût-elle de distance, d’inversion, de cruauté, de non-sens.     
Georges Didi-HubermanQuand les images prennent position

30 janvier 2013


            On ne regardera donc pas une image de l’art comme on regarde une vieille connaissance qui dans la rue nous croiserait et, déjà identifiée, soulèverait poliment son chapeau vers nous. Bien des historiens depuis Vasari l’ont fait pourtant, le font ou font semblant de le faire. Ils se placent devant limage comme devant le portrait rassurant de quelqu’un dont ils voudraient déjà connaître le nom, et dont ils exigent implicitement la bonne figure, c’est-à-dire ce minimum de bienséance figurative que suggère un chapeau correctement placé sur une tête. Mais le monde des images ne s’est jamais constitué aux seules fins de faire bonne figure pour une histoire ou un savoir à se constituer sur elles. Bien des images - même celles avec lesquelles depuis des siècles nous nous croyons familiarisés - agissent comme l’énigme dont Freud introduisait l’exemple à propos du travail de la figurabilité : elles courent échevelées, tout chapeau envolé, et même quelquefois elles courent sans tête…
 Georges Didi-Huberman, Devant limage


            Devant la muraille de tous les écrans, l’idolâtrie fait ripaille. Nous sommes tous prêts à payer, et nous payons aujourd’hui fort cher, les fabricants d’inanité pour savourer toutes les formes industrielles d’élision de la réalité, c’est-à-dire de l’altérité. Si notre image dans le miroir nous ressemble assez pour avoir droit à notre nom, ce nom n’a de sens que pour l’oreille et la voix d’un autre. Le miroir n’a pas d’oreille et l’image ne prend sens que dans la triangulation où la voix demande au regard de ne pas se prendre pour ce qu’il voit, faute de quoi il sera pris par ce qu’il ne voit pas. Où sont les voix qui construisent notre regard pour lui donner sa liberté ? 
Marie-José Mondzain, Le commerce des regards

17 septembre 2012

Chantier Maison de la Musique.

Interprètes : Matthieu Gaudeau, Cécile Grassin, Sylvain Huc, Blandine Pinon


25 juillet 2012

Deux photos prises avant-hier.


La première dans la Cathédrale de Pienza.

Je pense bien sûr à Il Silenzio de Pippo Delbono (nous avions parlé la veille des tremblements de terre en Italie au cours d'un repas avec les habitants d'un village à côté de Montalcino).
Pippo Delbono : Il y a une phrase écrite dans le cimetière de Buchenwald où sont enterrés les enfants morts dans le camp de concentration qui dit : "Quand tu es ici, fais silence. Une fois dehors, ne reste pas silencieux."


La deuxième à Bagno Vignoni.

Silencieux, aussi, le petit garçon chez Andreï Tarkovski jusqu'à la fin du Sacrifice : Au commencement était le verbe... Pourquoi Papa ?

Le mot "enfant" signifiait chez les Romains "celui qui ne parle pas".


13 juin 2012


Chantier Maison de la Musique.


Interprètes : Matthieu Gaudeau, Cécile Grassin, Sylvain Huc, Blandine Pinon





10 mai 2012